vendredi 18 mai 2018

68 en Allemagne : "striptease solidaire" au tribunal




 Femen avant l'heure, neuf étudiantes membres du SDS manifestent seins nus, le 12 décembre 1968 au palais de justice de Hambourg. Le Spiegel qualifie l'action de "striptease solidaire". Le striptease consiste à se déshabiller lascivement pour exciter sexuellement la ou les personnes à qui il est adressé - le topless protestataire n'a pas ce caractère de soumission ou de jeu sexuel. C'est un symbole de rupture d'avec les codes sociaux masculins qui briment les femmes. Mais pour les hommes, surtout ceux de 1968, une femme qui se déshabille devant eux ne peut pas avoir d'autre intention que de s'adresser à leur sainte braguette. Les femmes de 1968 ne décryptent pas encore bien non plus, consciemment du moins, l'asexuité du topless à partir du moment où il est politisé. Elles sont encore très imprégnées du regard que les hommes portent sur ce genre d'action.


On le remarque aux paroles de la chanson qu'elles ont écrite pour les membres du tribunal. Elles semblent y comprendre leur action comme sexuelle ou sexuée s'opposant à la morale dominante. Néanmoins elles se percoivent comme des sujets et des non des objets sexuels.
Des sextrémistes ?
Le chant protestataire que les neuf amies entonnent en choeur est inspiré de Brecht et intitulé "Ballade pour un juge asexué" :

                            Messieurs aujourd'hui vous nous voyez nues devant vous
                             Et nous montrons nos seins à tous
                            Vous suivez mais seulement le jour ce qui est écrit dans la Bible
                            Ce que vous caressez lascivement c'est tout au plus le code civil
                            Ça pue dans cet État
                            Nous mettre en tôle
                            Vous trouvez ça moral"


Elles demandent l'annulation du procès d'Ursula Seppel accusée d'infraction à l'ordre public pour avoir crié "justice de classe !" dans la salle lors du procès d'un autre étudiant. Pour ce simple cri elle est condamnée à verser une amende de 200 DM. Elle a fait appel. 

  Ursula Seppel quelques minutes avant l'opération topless dans une blouse transparente


Ursula Seppel sur l'action topless : "Nous avons dû énormément prendre sur noues pour surmonter la pudeur inculquée par notre éducation".


Le juge ordonne de les faire sortir de la salle. La police les traîne dehors exactement comme les Femen aujourd'hui et avec la même résistance de la part des jeunes femmes.


Finalement Ursula Seppel sera acquittée pour manque de preuves.

Dans le courrier des lecteurs du Spiegel de l'époque sous l'article relatant l'événement, des hommes se permettent de faire des réflexions et de donner des appréciations sur l'aspect des seins des jeunes femmes. La forme du sein, le bout de sein, l'aérole... un médecin va jusqu'à mettre en avant qu'il est spécialiste (des seins ?) afin d'y aller de ses critiques minables.



Cet article est en partie traduit de ce lien

mardi 15 mai 2018

68 en Allemagne : Sigrid Fronius brise une fenêtre avec ses talons aiguilles




  Pendant qu'en France en 2018, une responsable de l'UNEF apparaît voilée pour ne pas perturber le repos de la bite ni en bougeant sa tête immobilisée dans un carcan ni en cassant quoi que ce soit avec ses talons, son homologue de 1968 était d'une autre trempe.

 Entrée par effraction dans le rectorat de la Freie Universität (FU) de Berlin pour l'occuper avec d'autres étudiant.e.s à l'instar de ce que s'est passé à Tolbiac, au Mirail et ailleurs cette année en France, la responsable de l'AStA (comité général étudiant de l'Université Libre de Berlin, équivalent de l'UNEF) qui pour la première fois est une femme, Sigrid Fronius, est abondamment photographiée par la presse lors de l'évacuation du rectorat par la police. Fronius a brisé une fenêtre avec sa chaussure pour pouvoir actionner la poignée de l'intérieur et faire entrer tout le monde.

Fronius raconte (dans EMMA Mai/Juin 2008) qu'elle n'a pas été maltraitée par la police contrairement à d'autres protestataires. Elle a même agrippé un jour un flic par derrière en le tenant par son uniforme jusqu'à ce qu'il relâche un autre manifestant.

Sigrid Fronius entre au SDS en 1965, se porte candidate pour un siège au parlement étudiant de la FU de Berlin et en 1968 cofonde l'Université Critique.
"Actuellement les vieilles universités qui sont des tours d'ivoire se transforment en usines d'ivoire où des vieux professeurs très sots une fois sortis de leur domaine de compétence fabriquent des étudiants pareillement sots". Élue la même année directrice de l'AStA qui n'avait jamais eu alors à sa tête que des hommes, elle organise l'occupation du rectorat lequel ne veut pas attribuer de locaux à la KU (Kritische Universität).
Sa parole est écoutée lors des teach-in qui ont lieu pendant les occupations (on n'est pas à la conférence des délégués du SDS et on n'y traite pas de questions féministes). Il y est question de la guerre au Vietnam, de la manipulation du public par les médias, des anciens nazis replacés à des postes de fonctionnaires, de l'autorité sous toutes ses formes, raconte l'artiste Susanne Kleemann qui vivra en communauté avec Fronius et son futur mari (de Kleemann), entre autres.
Fronius démissionne de l'AStA six mois plus tard.
En 1975 elle participe à la création du magazine féministe Courage.
Plus tard elle s'installe en Bolivie où elle se trouve encore actuellement.

"Quand j'ai voulu partir en Bolivie on a dit elle y va à cause de Che Guevara pour faire la révolution mais ce n'est pas vrai. J'avais besoin de calme. Auparavant j'étais une révolutionnaire enthousiaste et le suis encore. Notre devise était "Démolis ce qui te démolit" mais les dominants sont les plus forts pour ce qui est de démolir".  

Comme aujourd'hui avec les universités francaises occupées, la presse la plus lue manipulait furieusement l'opinion pour criminaliser le mouvement étudiant. La cinéaste Helke Sander dira que ce sont grâce à ces teach-in qu'elle prendra réellement conscience de la manipulation dont font l'objet les simples citoyen.ne.s. Et aussi après l'attentat contre Dutschke.

Sander réalise un film en 1968 qui s'intitule "BRISEZ LE POUVOIR DES MANIPULATEURS".

Image du film de Sander projeté à la cinémathèque du Centre Pompidou en mars 2018 comme on peut le voir sur ce lien.


À ce propos, Die SDS Linke d'Aix-la-chapelle (Aachen) et les antinucléaires ont organisé une manifestation contre la remise du prix Charlemagne à Macron. Les médias manipulateurs n'en ont pas parlé. 



dimanche 13 mai 2018

68 en Allemagne : création du festival du film de femmes

L'étudiante à l'académie du cinéma et de la télévision allemandes (DFBB), Helke Sander (à droite sur la photo), dont le discours à la 23e conférence des délégués du SDS provoqua un lancer de tomates sur les hommes qui squattaient la tribune et déboucha sur la création du mouvement féministe "Weiberrat" (voir entrées précédentes) s'alliera plus tard à une autre cinéaste féministe,




Claudia von Alemann (à gauche), qui étudia le cinéma à Ulm puis participa en 1968 à Paris (comme seule femme avec Agnès Varda) aux états généraux du cinéma créés pour bloquer le festival de Cannes malheureusement pas pour des motifs féministes mais pour la défense de la classe ouvrière. Le discours qui est servi aux féministes à l'époque : "une fois qu'on aura fait la révolution on s'occupera du cas des femmes". Claudia von Alemann le croit d'abord et réalise en 68 le documentaire :
Ce n'est qu'un début continuons le combat (Das ist nur der Anfang - Der Kampf geht weiter)
Puis elle n'a plus envie d'attendre.

Parenthèse sur les femmes et le cinéma dans les années 60 : il n'y a qu'une petite douzaine de réalisatrices Citons : Věra Chytilová, Agnès Varda, Mai Zetterling,
 Cristina Perincioli, Edna Politi, entre autres.

De la rencontre de Claudia von Alemann et Helke Sander naît en 73 le premier festival du film de  femmes d'abord appelé "séminaire", seule appelation qui permettait d'obtenir des subventions.
Au cinéma ARSENAL de Berlin-Ouest a donc lieu du 15 au 18 novembre le 1er Séminaire International du film de femmes organisé par Helke Sander et Claudia von Alemann. Titre : „Documentaires et films ciblés sur la condition des femmes“. Lors du séminaire de 4 jours il est question des „Femmes dans la la lutte ouvrière“, „La représentation des femmes dans les médias“, „ le §218 (sur l'avortement), la sexualité, la répartition des rôles“ et „le mouvement des femmes en Europe et aux USA“. Claudia von Alemann résume : „Ce fut une énorme réussite, en 4 jours nous avons présenté une quarantaine de films environ, presque uniquement des premières en RFA. 300 femmes et 5 hommes se sont déplacés.“



Un mois plus tard le forum international du cinéma d'avant-garde de Munich organisa un nouveau séminaire du cinéma de femmes sur  le thème de La condition des femmes, où furent invitées Alemann, Sander et Erika Runge.

en 1974

paraît le premier magazine féministe du cinéma Frauen und Film dont l'éditrice n'est autre que la cinéaste Helke Sander. Sujet du journal : „Interroger l'influence de la culture patriarcale sur le médium cinématographique, reconnaître et définir les approches d'une culture féministe, en retenir et en développer les interrogations






Claudia von Alemann a tourné plusieurs films documentaires sur des femmes comme Germaine Greer, Ariane Mnouchkine, la photographe Abisag Tüllmann, et en 78/80 sur Flora Tristan, un docu intitulé "Le voyage à Lyon" qui obtint le prix de la critique allemande.


Les initiatives des réalisatrices pour exister malgré le cinéma masculin qui ne veut pas entendre parler d'elles se poursuivent jusqu'à aujourd'hui. Le festival de Cannes est un bastion machiste qui devrait être bloqué par les femmes comme il l'a été en 68 au nom de la défense de la classe ouvrière. Les femmes ne sont-elles pas les ouvrières des ouvriers?

En 78

Cristina Perincioli sort un film sur les violences conjugales intitulé "LE POUVOIR MASCULIN SE FAÇONNE DANS LA PATIENCE FÉMININE" (die Macht der Männer ist die Geduld der Frauen) autrement dit : si les femmes cessaient de se montrer patientes, le pouvoir masculin s'effondrerait.





Cette note est en partie traduite de ce lien

vendredi 11 mai 2018

68 en Allemagne : le tract du Weiberrat


COMPTE-RENDU DE RENDU DE COMPTE
                             

bite-en-moins bite-en-moins bite-en-moins bite-en-moins bite-en-moins

Nous n'ouvrons pas notre gueule !  Et si nous le faisons, rien n'en sort ! Si on la laisse ouverte, on nous la bourre : avec des bites petites bourgeoises, des baises forcées socialistes, des enfants socialistes, de l'amûûr, de la déréliction socialiste, de la grandiloquence, de l'excitation sexuelle mâle, du pathos intellectuel socialiste, du conseil pratique socialiste, des attouchements socialistes, de l'argument sexuel révolutionnaire, de l'orgasme pansocial, du BARATIN socialo-émancipatoire ! Si on en a marre, voilà ce qui se passe : du tapotement d'épaule, du paternalisme exacerbé ; puis nous sommes soudain prises au sérieux, alors nous voilà : formidables, étonnantes, on nous félicite, nous avons le droit de partager la table des habitués, on est des égales, alors on tape les textes, on distribue les tracts, peint les infos murales, lèche les timbres : nous sommes super ! Quand on a la gerbe : on est pénissenvieuses, frustrées, hystériques, coincées, asexuées, lesbiennes, frigides, mal-baisées, irrationnelles, pénissenvieuses, ennemies du désir, dures, viriles, compliquées, des garces, on "compense", on "surcompense", on est pénissenvieuses,  pénissenvieuses, pénissenvieuses, pénissenvieuses. Les femmes sont  a u t r e s !

LIBÉREZ SES ÉMINENCES SOCIALISTES DE LEUR BITE BOURGEOISE !



Tract du comité des bonnes femmes 1968




(Les noms numérotés de 1 à 6 = 6 sommités du SDS. Schauer Gäng Kunzelmann Krahl Rabehl Reiche

Schauer deviendra par la suite syndicaliste à IG Metall
Gäng spécialiste du Bouddhisme
Kunzelmann activiste d'extrême-gauche
Krahl décède 2 ans + tard
Rabehl est aujourd'hui militant d'extrême-droite
Reiche sexologue (lol)

Le Weiberrat aimerait la leur couper.

La liste se poursuit au verso avec d'autres membres masculins du SDS. Ex.: 15 Dutschke 16 Cohn-Bendit 17 Gaston Salvatore... ainsi que leurs principaux gourous masculins: 10 Habermas 19 Freud 22 Adorno 36 Mao 44 Marx 47 Lénine)

Sabine Zurmühl une témoine de l'époque qui cofonda par la suite le journal féministe Courage à propos des hommes du SDS : [ils] étaient vraiment épouvantables à entendre. Leur langage était codé. Et ce code on devait le maîtriser à fond sinon on n'était rien. Et les femmes du SDS n'étaient de toute manière rien".

mardi 8 mai 2018

68 en Allemagne : Ulrike Meinhof sur l'affaire des tomates




 Ulrike Meinhof (au centre) à l'époque du SDS

" (...)
  Les tomates qui ont volé à la conférence des délégués du SDS n'avaient aucun caractère symbolique. Les hommes dont le costume a été taché (que les femmes, comme toujours, ont dû nettoyer), ont été forcés de réfléchir à des choses auxquelles ils n'avaient jamais réfléchi. Il ne s'agissait pas d'organiser un spectacle pour la presse qui dissimule toujours tout, mais c'était bien eux qui étaient visés et qui ont pris des tomates à la tête. Et la femme, qui lanca les tomates, et celle qui en donna la raison, n'ont pas parlé d'expériences empruntées à d'autres et laborieusement communiquées mais ont parlé et agi pour elles-mêmes en donnant une voix à d'innombrables femmes.
Et elles n'en avaient rien à battre de savoir si ce qu'elles disaient possédait le niveau extrêmement élevé de réthorique pratiqué au SDS ni si tout cela avait la précision linguistique requise et non plus de savoir si Spiegel aurait été d'accord, elles auraient étouffé si elles n'avaient pas explosé. Des millions de femmes étouffent tous les jours à cause de ce qu'elles doivent avaler et prennent des médicaments pour se calmer - du contergan [thalidomide n.d.l.t.] si elles n'ont pas de chance, ou frappent leurs enfants, balancent la louche sur le mari, râlent et ferment la fenêtre, si elles sont un peu éduquées, pour que personne n'entende, ce que tout le monde sait : que les choses comme elles vont ne vont pas.
  La sorte de conflit qui après je ne sais combien de décennies a éclaté en public à Francfort - si du moins un éclat pareil s'est déjà produit - n'est pas de nature fictive, ni de celle qu'il y a moyen d'éviter comme ceci ou cela, ni non plus théorique ; tous ceux qui ont une famille la connaisse par coeur, mis à part qu'ici des personnes ont clairement fait savoir que cette affaire privée n'est pas une affaire privée.
Le rédacteur de Stern qui a tordu l'info à sa manière malveillante - un conflit qui couvait depuis des années, le SDS opprimant ses membres féminins - n'a juste pas remarqué qu'il ne s'agit pas seulement de l'oppression des femmes du SDS mais bien de sa propre femme, dans sa propre famille, par lui-même. Le rédacteur de konkret qui était là et a percu le lancer de tomates comme un incident entre des personnes et ces femmes qui refusaient qu'on les rappelle autoritairement au législateur quand ils se virent traitées de "défenseuses des droits des femmes", même lui, même s'il était également concerné, ne s'est pas senti touché, parce qu'il n'a pas été touché.
Et la suggestion de Reimut Reiche adressée aux femmes d'enfin refuser les relations sexuelles aux hommes, confirme le bien-fondé du reproche de Sander à savoir que les hommes refoulent totalement la polémique, puisque Reiche veut lui aussi replacer l'affaire dans la sphère privée, alors que c'est  justement ce que l'exposé assorti d'un lancer de tomates voulait à tout prix empêcher.
 Ces femmes de Berlin à Francfort ne veulent plus jouer le jeu, toute la charge de l'éducation des enfants retombent sur elles mais elles n'ont par ailleurs aucune influence sur ce à quoi, ce vers quoi et pourquoi on éduque les enfants. Elles ne veulent plus se faire insulter parce que pour éduquer des enfants elles ont dû arrêter leurs études, n'ont pas pu en faire du tout ou de mauvaises ou n'ont pu exercer leur métier, toutes choses qui laissent des traces dont on les rend à nouveau responsables. Elles ont clairement fait savoir que l'incompatibilité entre l'élevage des enfants et le travail rémunéré n'est pas le fait de leur ratage personnel mais a à voir avec la société qui a organisé cette incompatiblité. Elles l'ont parfaitement expliqué.
Elles ne se sont pas plaintes ni présentées comme des victimes qui demandent qu'on est pitié d'elles et de la compréhension et une machine à laver la vaisselle et l'égalité et blablabla. - Elles ont commencé à analyser la sphère privée dans laquelle elles vivent presqu'uniquement, dont la charge est à leur seule charge et ont constaté qu'objectivement les hommes sont les fonctionnaires de la société capitaliste chargés d'opprimer les femmes même si subjectivement ils ne veulent pas l'être. Puisque les hommes ont refusé d'aller sur ce terrain-là ils ont recu des tomates à la tête.
  Ce n'est pas de l'éternelle dispute conjugale que l'on parle mais du fait que cette dispute ressort du domaine public. La réaction des hommes à la conférence des délégués et celles des encore et toujours si "bienveillants" rapporteurs montre qu'il faudra encore les mitrailler avec des tombereaux entiers de tomates avant qu'ils captent quelque chose. La lecon à tirer de Francfort est qu'il faut que d'autres femmes et d'autres encore prennent conscience de cet antagonisme, s'organisent, le traitent, apprennent à formuler les choses, ne demandent rien d'autre à leur mari que de leur ficher la paix dans ce domaine et qu'ils lavent eux-mêmes leur chemise tachée de tomate".

ULRIKE MEINHOF dans konkret le 7.10.1968 (publié dans EMMA de ce mois)
Traduction libre.


dimanche 6 mai 2018

68 en Allemagne / LA TOMATE / Sigrid Rüger

Sigrid Damm-Rüger figure marquante de 68 née et morte à Berlin (1939-1995) est tombée avec d'autres dans les oubliettes du château-fort culturel masculin.

Parenthèse : La société patriarcale se garde bien d'entretenir le souvenir d'actions féminines sauf exceptions "prouvant" au monde que TRÈS EXCEPTIONNELLEMENT la bestiole femelle rejoint l'humain-homme supérieur. Car d'après je ne sais plus quel machiste célébré par la mâlitude pour sa grande sagesse (hahaha) le chat (la chatte ?) parvient aussi de temps en temps à se mettre sur ses deux pattes de derrière !

Bref, donc Sigrid Damm-Rüger fut une activiste féministe allemande qui s'illustra pour avoir mitraillé un homme de tomates pendant la 23e conférence à Francfort-sur-le-Main des délégués du SDS dont elle était membre.

Cela se produisit le 13 septembre 68, deuxième jour de la conférence qui devait durer cinq jours.

Parenthèse sur le SDS : le SDS ou Union socialiste allemande des étudiants est une formation issue du mouvement étudiant allemand créé d'abord comme syndicat indépendant proche du parti socialiste, puis indépendant du SPD et représentant la nouvelle gauche ouest-allemande (opposée au nucléaire et au réarmement).

Le SDS joue un rôle important dans les événements de 68 en Allemagne. Rudi Dutschke en fit une organisation anti-autoritaire proche des idées anarchistes et sans affinité aucune avec le socialisme d'Allemagne de l'Est. Très offensif contre la ligne néo-capitaliste suivie par la RFA, le SDS fut longtemps une épine dans le pied du gouvernement qui l'interdit en 1970.

Membre féminine très célèbre du SDS : Ulrike Meinhof et moins célèbres mais un peu quand même : Susanne Kleemann, Karin Struck, Helke Sander cette dernière ayant joué un rôle de premier plan dans l'affaire "tomate".

   

H.-J. Krahl, 3e en partant de la gauche (celui qui rit à gorge déployé)

On voulait ENFIN METTRE L'ÉMANCIPATION DES FEMMES À L'ORDRE DU JOUR, dira Sigrid Rüger quelques décennies plus tard pour expliquer son geste.

Jamais le problème de l'oppression des femmes n'était abordé en conférence. Helke Sander qui n'était pas encore une cinéaste renommée venait ce jour-là de faire un discours ne figurant certes pas au programme mais qui aurait tout de même pu soulever un débat puisqu'il traitait du cas particulier des femmes dans la lutte des classes. Pendant le discours il y eu des rires et quelques applaudissements mais par la suite le fil du programme fut repris comme s'il ne s'était rien passé. Ce fut insupportable à certaines femmes dont Sigrid Rüger.
Pendant le pause de midi, elle alla acheter un kilo de tomates à 70 pfennigs la livre et le montra à Helke Sander.

Hans-Jürgen Krahl la grande vedette du SDS, un ancien élève de Theodor Adorno traité par ce dernier comme son égal, parce que doué, très cultivé, orateur hors pair avec une mémoire d'éléphant, ce qui ne l'empêchera pas de mourir en 1970 dans un accident de voiture à l'âge de 27 ans, reprend le micro sans la moindre allusion au discours de sa prédécésseuse. Rüger l'interrompt et dit : "Est-ce qu'il t'est déjà arrivé de t'interroger sur le rôle des femmes ?" Krahl rit et répond : "Je vais y réfléchir". Puis il poursuit son discours entamé sans plus s'occuper de l'intervention de Rüger. Rüger l'interpelle à nouveau:




"Vois-tu, camarade Krahl, tu n'es rien d'autre qu'un contre-révolutionnaire et pire encore : un agent de l'ennemi de classe !". Sander ajoute : "Si le SDS n'est pas prêt à discuter du sujet du rôle des femmes il a mérité d'être traité comme il traite l'establishment". Là-dessus Rüger jette trois tomates (d'après le magazine Stern) une livre complète (d'après Sander) sur Krahl. Une le touche (d'après Spiegel, deux d'après Stern). Une femme s'interpose. Ines Lehmann. Dans un article paru en 2008 elle explique que le SDS avait plus d'importance pour elle que les revendications de Rüger et Sander. D'ailleurs l'affaire du lancer de tomates a signé le fin du SDS, d'après elle. Le patriarcat a malheureusement ses affidéEs.

Le silence se fait. Puis un énorme tumulte s'en suit. Les délégués hurlent.
Krahl essaie de poursuivre son discours. Ines Lehmann, alors activiste du SDS à l'affût de la moindre critique contre l'organisation, après s'être interposé entre Krahl et les tomates, prend le micro et accuse Rüger et Sander d'être des sécessionnistes.
La journaliste et écrivaine Hazel Rosenstrauch prend le micro à son tour pour défendre Rüger et Sander et critiquer Lehmann.
Dans l'après-midi, Rüger forme un groupe féminin effectivement sécessioniste : le "Weiberrat" (littéralement "le conseil des bonnes femmes"). Il s'y joint très vite trop de femmes. Les discussions personnelles sont rendues impossibles par le nombre et les nouvelles venues se sentent mises de côté. Il est donc dissout peu de temps après (hiver 68/69). Mais il s'en reformera un autre par la suite.  

C'est ainsi que le lancer de tomate de Sigrid Rüger marqua le début de ce que l'herstoire appelle en Allemagne (de l'ouest)la 2e vague féministe.
Plus haut Sigrid Rüger, aujourd'hui / Ci-dessus Sigrid Rüger à l'époque.


 Helke Sander pendant son discours féministe du 13.9.68 devant le SDS


Depuis ce jour, la tomate est devenue l'arme par excellence du féminisme allemand qui permet à la fois aux femmes de se faire entendre et de faire taire le bavardage masculin incessant qui ne nous concerne pratiquement jamais. 

Les féministes allemandes demandent de continuer à lancer des tomates.




"Continuez à lancer la tomate !"
Traduction de l'affiche : "du lancer de tomate au quota de femmes"


Le texte de cet article est en partie traduit de ce lien