jeudi 19 avril 2012

De Kriemhilde à Maléfique






Kriemhild ou Krimhild, dans la mythologie nordique, est l'un des principaux personnages féminins de la Chanson des Nibelungen et de l’Edda poétique‎.

Dans l'Anneau des Nibelungen d'où est tirée l'histoire de la Belle au Bois dormant, Kriemhilde (ou Grímhildr)représente une femme puissante aux pouvoirs maléfiques modérés. Elle est l'ennemi de Brunehilde (la Belle au Bois dormant) et fait boire un philtre d'oubli à Sigurd de sorte qu'il ne se souvient plus de son serment d'épouser Brunehilde et en épouse une autre (Gudrun).

L'histoire est très complexe mais on retiendra que Kriemhilde commence sa vie en disant à sa mère qu'elle ne veut pas épouser d'homme car elle estime que se lier à un homme n'apporte que du malheur. Néanmoins elle épouse Attila, roi des Huns et devient par cette union la toute puissante reine des Huns. Elle meurt assassiné lors d'une vengeance organisée par elle contre un certain Hagen à la cour des Huns.
Kriemhilde est, tout compte fait, une autre femme guerrière, une valkyrie différente de Brunehilde mais pas tant que cela.

La Maléfique de Walt Disney est l'antithèse d'Aurore. Elle n'est aucunement proche d'une figure qui pourrait être historique. Elle est de nouveau, comme pour la sorcière de Blanche-Neige, l'incarnation du Mal (absolu?). La forme seule est différente. Celui qui fut en charge de la créer, l'a conçue, je cite « comme un vampire géant pour créer un sentiment de menace» Sean Griffin qui travaille pour Disney la décrit comme « une femme asexuée avec des vêtements couvrant l'intégralité de son corps, un visage aux traits forcés et acérés en opposition avec la rondeur et la douceur de ceux d'Aurore, soulignés par du maquillage et des ombres autour des yeux, » proche de ce qui a été fait pour Reine dans Blanche-Neige et les Sept Nains (1937). L'une des fées-marraines décrit Maléfique « comme une personne ne connaissant rien à l'amour, à la gentillesse ou au fait d'aider les autres».
Par ailleurs,Maléfique a des pouvoirs extraordinaires : elle est capable de se transformer en une petite boule de lumière verte (visible dans la scène où elle hypnotise Aurore pour qu'elle se pique le doigt).

Bref, elle est un peu tout sauf humaine.



CETTE OPPOSITION ENTRE LES PERSONNAGES FÉMININS "POSITIFS" ET "NÉGATIFS" EST NON SEULEMENT PLUS QU'OUTRANCIÈRE MAIS NE PERMET À AUCUNE FILLE NI FEMME DE SE RETROUVER NI D'Y VOIR UN MODÈLE NI UN CONTRE-MODÈLE POUR SE CONSTRUIRE EN TANT QU'HUMAIN. ELLE IMPOSE UNE DICHOTOMIE INSURMONTABLE.



Ici un extrait trouvé sur le blog d'Hypathie à propos de cette dichotomie qui s'inscrit, en fait, dans le rejet des femmes et leur utilisation par les hommes comme bouc émissaire (Maléfique porte d'ailleurs des cornes de bouc) un article passionnant de Mary Daly auquel j'ai ajouté des annotations entre crochets et des caractères gras :

"La société telle que nous la connaissons a un besoin pervers de créer « l'Autre » comme objet de condamnation, ainsi ceux qui condamnent peuvent selon leur jugement se trouver bons. [...] Eve en est une production. Elle représente la catégorie dans laquelle la tradition chrétienne a placé toutes les femmes qui n'ont pas réussi à imiter l'étonnant modèle de la vierge qui est aussi mère.

(...)
Il semble dans le même temps que le rejet primordial des femmes dans le rôle de « l'Autre » ait produit une seconde dichotomie entre vertueuses [Aurore, Blanche-Neige, Arielle, etc...] et mauvaises femmes [Reine, Maléfique, Mim, Ursula, etc..]. Cela paraît étonnant du fait que les autres groupes opprimés ne sont pas « dichotomisés » de façon aussi drastique. Aux Etats-Unis les noirs considérés comme « Oncles Toms »* sont appréciés et bien traités, mais pas placés sur un piédestal. Cette dichotomie frappante entre femmes, si on y réfléchit, peut être comprise par le fait qu'elles sont le seul groupe opprimé dispersé parmi le groupe de rang supérieur et intimement attachées au « maître » par des liens biologiques, émotionnels, sociaux, et économiques. A cause de l'identification des hommes avec « leurs » femmes en tant qu'autre, il serait contre-productif de proclamer toutes les femmes mauvaises.
Dans le même temps, le rejet des femmes dans une altérité de caste supplante l'identification que les hommes ressentent pour quelques femmes en tant que possessions proclamant leurs accomplissements et servant leurs intérêts. Avec pour conséquence que la « vertu » attribuée à quelques-unes n'est pas l'excellence d'une personne accomplie, mais celle d'une créature impuissante, manquant de connaissances et d'expérience [Aurore; Blanche-Neige, Cendrillon, etc...]. [....] Dans le cas de l'idéal de vertu imposé aux femmes, il y a une aura spéciale de glorification d'un idéal symbolisé par Marie [du mot "Marie" dont dérive ceux de "mari", "mariage" et "marier" = propriété d'un mâle]. Cet idéal impossible à une fonction punitive, parce que bien sûr aucune femme ne peut l'atteindre (Considérez l'impossibilité d'être à la fois vierge et mère). Il rejette et renvoie donc toutes les femmes au statut d'Eve [dont le gros péché est d'être "mariée" au serpent de la connaissance et à la pomme ou globe symbolisant...l'expérience ?] et renforce essentiellement le statut universel des femmes en tant que basse caste.

3 commentaires:

  1. C'est le manque de connaissance et l'impuissance qui préoccupent bien sûr!
    Sinon, et en général, je pense que les enfants font bien la différence entre le conte et le réel, et même s'ils s'habillent en héros ou princesses, ils ne cherchent pas à suivre ce modèle fictif.
    Merci Euterpe, cette façon de "décortiquer" les contes est fort enrichissante!
    Bon week-end.

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  2. Merci pour le rétrolien :)))
    "Dichotomisée" dit Mary Daly : suffixe tomie (comme dans lobotomie) terme chirurgical signifiant couper -ici en deux ; ou schizophénie, aussi : ces termes disent l'impossibilité, l'impuissance à être entière, bonne mais aussi un peu mauvaise aux heures où ça va mal, ni totalement parfaite, ni totalement mauvaise, un être humain, tout simplement.

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  3. A Colo : le modèle est devenu tellement fictif (plus de référence à des divinités associées à des saisons par ex. ni à des personnages historiques) ce qui fait qu'ils fonctionnent comme des archétypes. C'est cela qui est insidieux. Je ne trouve pas que les filles font la différence entre réalité et fiction puisqu'elles suivent massivement l'injonction de l'apparence (être belle) et du (bon) comportement (être gentille). Elles ont très peur de paraître laide et agressive. Ce qui leur enlève pas mal de leur capacité de s'imposer dans la société, je trouve.

    A Hypathie : ton texte de Daly illustre tellement bien mon propos !:) Et, dans la version Disney des contes, la rupture est de loin la plus radicale (même par rapport aux contes de Grimm) !
    Là-dessus se greffe l'aspect visuel : le "mignon" (rond, rose, enfantin) contre le "hideux" (anguleux, sombre, adulte).
    De plus, comme je l'ai écrit à Colo, ces deux modèles n'ont plus d'attaches avec le réel. On ne sait plus d'où ils viennent, qui ils représentent et pourquoi ils sont racontés.
    Ils sont officiellement vendus comme "divertissants". Alors que la fonction réelle est autre...

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