jeudi 7 juillet 2011

Les mots (maux) de la reine Margot


Dans ce billet j'ai évoquée les poèmes d'adieux de femmes adressés à des femmes, des reines à leurs demoiselles d'honneur et vice versa.
Parmi eux se trouve celui de Marguerite de Valois à Mademoiselle de Thorigny. Dans ses Mémoires, Marguerite de Valois raconte les circonstances de cette séparation. Elle se plaint des agissements d'un mignon du roi Henri III, Louis Béranger du Guast, cause et de la perte de la demoiselle d'honneur préférée de Catherine de Médicis et de la fameuse Thorigny pour laquelle Marguerite nourrissait une grande amitié. Ce du Guast apparaît assez comme un épouvantable misogyne qui passait son temps à brouiller tout le monde et à persécuter les femmes. Celle que l'on nomme la reine Margot mais qui ne s'est jamais appelée comme cela en réalité, était à ce moment-là déjà l'épouse de Henri de Navarre ; le règne de Charles IX et la Saint-Barthélémy étaient passés, c'est Henri III qui commandait, en attendant son assassinat, et ce sinistre favori faisait apparemment la loi à sa place. Je vous laisse lire la prose de l'intelligente et sensible soeur du roi qui observe et subit l'ambiance :

(...) et recherchant de fabriquer quelque nouvelle invention pour nous rebrouiller le roi mon mari et moi, met à la tête du roi (met en tête au roi), qui depuis peu de jours avait ôté (par le même artifice de du Guast) à la reine sa sacré princesse, très vertueuse et bonne, une fille qu'elle aimait fort et qui avait été nourrie avec elle, nommée Changy, qu'il devait faire que le roi mon mari m'en fit de même, m'ôtant celle que j'aimais le plus, nommée Thorigny - sans en amener autre raison, sinon qu'il ne fallait point laisser auprès des jeunes princesses des filles en qui elles eussent si particulière amitié. Le roi, persuadé de ce mauvais homme (convaincu par ce mauvais homme), en parle plusieurs fois à mon mari, qui lui répond qu'il savait bien qu'il me ferait un cruel déplaisir : si j'aimais Thorigny, j'en avais l'occasion ; qu'outre ce qu'elle avait été nourrie avec la reine d'Espagne ma soeur, et avec moi depuis mon enfance, qu'elle avait beaucoup d'entendement, et que même elle l'avait fort servi en sa captivité du bois de Vincennes ; qu'il serait ingrat s'il ne s'en resouvenait ; et qu'il avait autrefois vu que sa Majesté en faisait grand état. Plusieurs fois, il s'en défendit de cette facon. Mais enfin Le Guast persistant toujours à pousser le roi, et jusques à lui faire dire au roi mon mari qu'il ne l'aimerait jamais si dans le lendemain il ne m'avait fait ôter Thorigny, il fut contraint - à son grand regret, comme depuis il me l'a avoué - m'en prier et me le commander. Ce qui me fut si aigre, que je ne me pus empêcher lui témoigner par mes larmes combien j'en recevais de déplaisir, lui remontrant que ce qui m'en affligeait le plus n'était point l'éloignement de la présence d'une personne qui, depuis mon enfance, s'était toujours rendu sujette et utile auprès de moi, mais que,[chacun] sachant comme je l'aimais, je n'ignorais pas combien son partement (départ) si précipité porterait de préjudice à ma réputation. Ne pouvant recevoir ces raisons, pour la promesse qu'il avait faite au roi de me faire ce déplaisir, elle partit le jour même, se retirant chez un sien cousin, nommé Monsieur Chastelas. Je restai si offensée de cette indignité - à la suite de tant d'autres - que ne pouvant plus résister à la juste douleur que je ressentais (qui, bannissant toute prudence de moi, m'abandonnait à l'ennui), je ne pus plus me forcer à rechercher le roi mon mari. De sorte que, Le Guast et Madame de Sauve d'un côté l'étrangeant de moi, et moi m'éloignant aussi, nous ne couchions plus ni ne parlions plus ensemble.

Alexandre Dumas qui s'est inspiré des Mémoires de Marguerite pour écrire le roman "La reine Margot" reprend certaines intrigues décrites ici mais les situe sous Charles IX et les attribue à Catherine de Médicis, non à du Guast (en particulier celle où Mme de Sauve est poussée dans les bras de Henri de Navarre). Dans ce passage on voit que Catherine de Médicis elle-même est dépouillée de la femme qu'elle affectionne le plus, il est donc bien abusif de raconter à des élèves de CM1 que cette reine s'imposait pendant que ses pauvres fils étaient impuissants à l'en empêcher. Mais les Mémoires de Marguerite de Valois ne sont guère au programme de l'éducation nationale ni évoquées dans la presse littéraire. Témoigneraient t-elles trop d'un machisme à la francaise où non seulement le corps des femmes mais leur coeur étaient contrôlés par les hommes ? Où les femmes n'avaient même pas le droit de disposer de leurs sentiments et de leurs amitiés ? Où ce même machisme à la francaise existait déjà qui montre aujourd'hui de si "beaux" restes ?

(Peinture : Henri III et les ambassadeurs anglais de Bonington Richard Parkes).

7 commentaires:

  1. Euterpe , je me permets de vous communiquer l'adresse de mon blog, en toute amitié:

    http://blogfadiese.wordpress.com/

    fa#

    RépondreSupprimer
  2. Merci fa#. Je suis allée faire un petit tour et me suis empressée de vous mettre dans ma blog-roll. Il est vraiment très charmant votre blog. Je suis fan !

    RépondreSupprimer
  3. Merci Euterpe, donc je blogue ...

    fa#

    RépondreSupprimer
  4. Et après on vient dire que ce sont les femmes qui sont intrigantes, mauvaises langues et fouteuses d'embrouille.
    Voilà des siècles que beaucoup font leurs langues de vipères. Ils ont même réussi à faire croire et valider que les femmes étaient des êtres inférieurs au point que même ces dernières le croient ! L'infériorisation des femmes reléve du plus grand commérage, de la plus grosse intrigue jamais entrepris.e.s.

    RépondreSupprimer
  5. On s'empresse d'enterrer les écrits féminins, faisant preuve de finesse et de sensibilité (et de réalisme !), pendant que les élucubrations des écrivains, avec leurs cortèges de personnages de femmes fatales intrigantes, restent à l'honneur et deviennent des "classiques"...

    RépondreSupprimer
  6. Le témoignage des femmes, leur parole, toujours sujets à caution, il faut de préférence que ce soit validé par un homme. Quand à leur expérience de la vie et des choses, elle ne vaut pas d'être gardée pour l'édification des générations futures. Les éditocrates français le démontrent tous les jours, surtout actuellement.

    RépondreSupprimer
  7. A fa# : bienvenue dans la communauté des blogonistes. Vous verrez, quand on commence, on ne peut plus s'arrêter !

    A Hélo : bien vu. Commérage, calomnie, diffamation organisé.e.s, entreprise de dénigrements en tout genre qui convainc les intéressées elles-mêmes : quand il s'agit de rapetisser les femmes, rien n'est trop ignoble.

    A urgonthe : en effet, nous sommes saturées de Lucrèce Borgia, Catherine de Médicis et autres Myladies à la sauce masculine. Un roman qui aurait pour héros une femme bonne, intelligente, courageuse et pleine de ressources, qui réussirait tout ce qu'elle entreprend et finirait couverte de gloire, ne serait pas considérée comme un sujet intéressant pour le public. Il faut aux éditeurs ou des femmes bourreaux ou des victimes. Des criminelles qui tuent ou du sang de femme qui coule (à défaut celui de petites filles). Le beau rôle est réservé à ces messieurs et doit le rester.

    A Hypathie : oui, la femme doit être ennuyeuse par essence. Son expérience insipide. Sa pensée vide et plate. Si cependant elle se fait remarquer de son vivant, on fera mine de la mettre à l'honneur et de l'encenser quelque temps mais on l'enterrera bien vite, corps et biens. Ces oeuvres finiront très souvent par être attribuées à un homme et son existence assimilée à une légende. Plus son existence est éloignée dans le temps, plus les traces sont faciles à effacer. Et puis, en passant, on va la discrimer, fouiller dans sa vie privée, en faire un monstre... :( En effet, ce qu'elle a à dire n'a pas valeur à être transmis.

    RépondreSupprimer